Le vin de Porto 

 

Porto, ville secrète qui fait un peu penser à Lyon ou à Bordeaux, couve son vin comme une poule couve ses œufs. On visite les celliers avec le respect dû aux cryptes et on y parle à voix basse pour ne pas troubler la mystérieuse alchimie du vin. C'est par Porto que les Anglais ont le plus profondément pénétré le Portugal. Ils y ont des intérêts puissants sur lesquels ils veillent aussi jalousement que sur les puits de pétrole du Moyen-Orient. Que deviendrait la table anglaise si la source se tarissait, si ces vins doux et onctueux, à la transparence ambrée ne prenaient plus le chemin des grands ports anglais ? Personne n'ose l'imaginer. Il semble que l'Angleterre ne serait plus tout à fait l'Angleterre.
Michel Déon
 

Du nord au sud, le Portugal est riche en bons vins : plus d’une centaine de variétés, des vins de table aux grands crus, racontent l’histoire unique de leurs terroirs respectifs. Au nord du pays, les vignobles d’appellation Porto occupent les versants de la haute vallée du Douro, tandis que les terroirs proches de la ville de Porto produisent le vinho verde.

Avec une teneur en alcool de 19 à 22%, le vin de Porto est soumis à une réglementation très stricte de la production, qui prend en compte les paramètres de situation et de culture de la vigne et les conditions de vinification : le titre en sucre, l’eau de vie ajoutée, la qualité des fûts de vieillissement.

Selon le mode de vieillissement , on obtient le style Ruby, qui privilégie les teintes rouges plus ou moins intenses et l’arôme fruité des vins jeunes, ou le style Tawny, vins matures, de teinte dorée, mariant les senteurs boisées avec les arômes de fruits secs. Les vins de Porto blanc, aux subtiles notes florales, satisfont les amateurs de vins secs et moins riches en alcool.
 

Un doigt d’histoire

La production de vin de Porto remonte aux débuts de l’ère chrétienne, comme l’attestent des vestiges de cuves et d’amphores découverts en divers lieux de la vallée du Douro et qu’on a pu dater des 3e et 4e siècles. Mais il faut attendre la seconde moitié du 17e siècle pour voir apparaître l’appellation « Vin de Porto ». Face aux appétits hégémoniques de l’Espagne, le Portugal a très tôt cherché à nouer des alliances avec des antagonistes de son puissant voisin, en particulier l’Angleterre, avec laquelle le premier traité commercial remonte à 1308. Le Portugal est resté fidèle à cette alliance jusqu’à nos jours, même quand il lui en coûta, en particulier sous Napoléon, puis sous la tyrannique « régence » du vicomte de Beresford (1816-1820) et pendant les deux guerres mondiales.

Au cours du 17e siècle, les Anglais prennent un tel goût au vin de Porto que leurs importations s’envolent, si bien qu’ils obtiennent en 1702, par le traité de coopération diplomatique, militaire et économique de Methuen, le privilège de fonder au Portugal des sociétés de négoce dont certains noms prestigieux (Offley, Harris, Sandeman) perdurent encore aujourd’hui. Mais dès la seconde moitié du 18e siècle et pendant tout le 19e siècle, d’abord par le développement d’une concurrence frauduleuse (French Ports, Hamburg Ports, etc.) puis par les ravages causés successivement par l’oïdium et le phylloxéra, une succession de crises profondes secoue le marché du vin de Porto et précipite les producteurs dans la misère. La moder­nisation des pratiques de culture et, à partir de 1907, la mise en place progressive d’une réglementation draconienne des procédures de production, du contrôle d’appel­lation, de la délimitation de terroir, des monopoles d’exportation, permet de relancer les exportations qui croissent jusqu’en 1925, mais sans grand effet sur la condition misérable des producteurs, victimes de hausses des impôts et du prix des marchandises.

Une intervention accrue de l’État conduit en 1926 à la création des entrepôts de vieillissement du vin de Vila Nova de Gaia, dont l’utilisation par les sociétés de négoce est rendue obliga­toire, puis à la création en 1933 de la Casa do Douro, organisme chargé de la protection de l’appellation et de la supervision de la production par l’application d’un barème de qualité et l’institution de quotas (le benefício), suivie de celle de l’Institut du vin de Porto, responsable des normes de qualité, du contrôle et de la promotion.

Pendant ces vingt dernières années, plusieurs autres organisations professionnelles ont été mises en place, qui organisent la production et, revenant sur la réglementation de 1926, gèrent la commercialisation d’une partie du vin directement depuis la région de production.

Porto Ferreira

Ferreira fait partie de la quinzaine de chais qui se visitent. On accède à leurs locaux par une porte d’une modeste bâtisse à l’allure de petit entrepôt portuaire, porte qui serait anonyme sans une petite plaque de laiton poli sur le côté gravée avec l’inscription « CAVES Centro de Visitas ». En fait, cette bâtisse n’est que l’avancée d’un bâtiment beaucoup plus grand qu’elle dissimule aux visiteurs. Dès l’entrée on est mis dans l’ambiance : un mur est couvert d’un empilement de tonneaux, sur un autre, une grande carte montre la haute vallée du Douro, avec le vignoble d’appellation délimité en vert. Une charmante jeune femme nous accueille et nous guide à travers les chais, qu’elle commente abondamment d’un texte bien au point et bien appris et maîtrisé. Mais ce texte est un peu long, alors son débit est rapide : elle sait que l’attention des touristes est passagère et qu’il ne faut pas trop traîner, sinon ils commenceront à penser un peu trop à la dégustation promise en fin de parcours.

Les caves occupent un ancien couvent, des centaines de tonneaux entreposés sur plusieurs niveaux et voisinant avec des foudres de 35.000 litres emplissent de grandes salles : au total, le stock est de 12 millions de litres. Tout l’art du Porto consiste en quelques opérations criti­ques : le moment où l’on ajoute de l’eau de vie au moût fermenté, ce qui bloque la fermen­tation au niveau précis du taux de sucre résiduel qu’on cherche à obtenir : doux, demi-sec ou sec, la durée du vieillissement en fûts de chêne du Portugal (3 ou 4 ans selon le style de vin à obtenir, de 7 à 40 ans pour les grands Tawny), l’assemblage de vins d’âges différents pour obtenir, comme pour le champagne, un suivi de l’arôme et du goût. L’âge sur l’étiquette s’obtient par pondération mathématique des âges des différents composants. Une année exceptionnelle peut être déclarée année de vintage par l’Institut du vin de Porto, l’assemblage n’utilise alors que des vins de cette année-là. Les tonneaux de chêne doivent avoir entre 3 et 60 ans : jusqu’à 3 ans, ils servent pour le vin de table, au-delà de 60, ils sont vendus aux producteurs de whisky écossais. Ils sont nettoyés une fois par an au jet d’eau sous pression (pendant l’opération, le vin est entreposé dans des cuves). Les vins jeunes se conservent mal en bouteille : leur durée de garde ne dépasse guère 3 ans. Comme tout grand vin, le Porto doit être consommé rapidement après débouchage, de préférence dans les 48 heures.

Helmut Müller