Du
nord au sud, le Portugal est riche en bons vins : plus d’une centaine de
variétés, des vins de table aux grands crus, racontent l’histoire
unique de leurs terroirs respectifs. Au nord du pays, les vignobles d’appellation
Porto occupent les versants de la haute vallée du Douro, tandis
que les terroirs proches de la ville de Porto produisent le vinho verde.
Avec
une teneur en alcool de 19 à 22%, le vin de Porto est soumis à
une réglementation très stricte de la production, qui prend
en compte les paramètres de situation et de culture de la vigne
et les conditions de vinification : le titre en sucre, l’eau de vie ajoutée,
la qualité des fûts de vieillissement.
Selon
le mode de vieillissement , on obtient le style Ruby, qui privilégie
les teintes rouges plus ou moins intenses et l’arôme fruité
des vins jeunes, ou le style Tawny, vins matures, de teinte dorée,
mariant les senteurs boisées avec les arômes de fruits secs.
Les vins de Porto blanc, aux subtiles notes florales, satisfont
les amateurs de vins secs et moins riches en alcool.
Un
doigt d’histoire
La
production de vin de Porto remonte aux débuts de l’ère chrétienne,
comme l’attestent des vestiges de cuves et d’amphores découverts
en divers lieux de la vallée du Douro et qu’on a pu dater des 3e
et 4e siècles. Mais il faut attendre la seconde moitié
du 17e siècle pour voir apparaître l’appellation
« Vin de Porto ». Face aux appétits hégémoniques
de l’Espagne, le Portugal a très tôt cherché à
nouer des alliances avec des antagonistes de son puissant voisin, en particulier
l’Angleterre, avec laquelle le premier traité commercial remonte
à 1308. Le Portugal est resté fidèle à cette
alliance jusqu’à nos jours, même quand il lui en coûta,
en particulier sous Napoléon, puis sous la tyrannique « régence
» du vicomte de Beresford (1816-1820) et pendant les deux guerres
mondiales.
Au
cours du 17e siècle, les Anglais prennent un tel goût
au vin de Porto que leurs importations s’envolent, si bien qu’ils obtiennent
en 1702, par le traité de coopération diplomatique, militaire
et économique de Methuen, le privilège de fonder au Portugal
des sociétés de négoce dont certains noms prestigieux
(Offley,
Harris, Sandeman) perdurent encore aujourd’hui. Mais dès la
seconde moitié du 18e siècle et pendant tout le
19e siècle, d’abord par le développement d’une
concurrence frauduleuse (French Ports, Hamburg Ports, etc.) puis
par les ravages causés successivement par l’oïdium et le phylloxéra,
une succession de crises profondes secoue le marché du vin de Porto
et précipite les producteurs dans la misère. La modernisation
des pratiques de culture et, à partir de 1907, la mise en place
progressive d’une réglementation draconienne des procédures
de production, du contrôle d’appellation, de la délimitation
de terroir, des monopoles d’exportation, permet de relancer les exportations
qui croissent jusqu’en 1925, mais sans grand effet sur la condition misérable
des producteurs, victimes de hausses des impôts et du prix des marchandises.
Une
intervention accrue de l’État conduit en 1926 à la création
des entrepôts de vieillissement du vin de Vila Nova de Gaia, dont
l’utilisation par les sociétés de négoce est rendue
obligatoire, puis à la création en 1933 de la Casa do
Douro, organisme chargé de la protection de l’appellation et de
la supervision de la production par l’application d’un barème de
qualité et l’institution de quotas (le benefício),
suivie de celle de l’Institut du vin de Porto, responsable des normes de
qualité, du contrôle et de la promotion.
Pendant
ces vingt dernières années, plusieurs autres organisations
professionnelles ont été mises en place, qui organisent la
production et, revenant sur la réglementation de 1926, gèrent
la commercialisation d’une partie du vin directement depuis la région
de production.
Porto Ferreira
Ferreira fait partie de la quinzaine de chais qui se visitent.
On accède à leurs locaux par une
porte d’une modeste bâtisse à l’allure de petit entrepôt
portuaire, porte qui serait anonyme sans une petite plaque de laiton poli
sur le côté gravée avec l’inscription « CAVES
Centro de Visitas ». En fait, cette bâtisse n’est que l’avancée
d’un bâtiment beaucoup plus grand qu’elle dissimule aux visiteurs.
Dès l’entrée on est mis dans l’ambiance : un mur est couvert
d’un empilement de tonneaux, sur un autre, une grande carte montre la haute
vallée du Douro, avec le vignoble d’appellation délimité
en vert. Une charmante jeune femme nous accueille et nous guide à
travers les chais, qu’elle commente abondamment d’un texte bien au point
et bien appris et maîtrisé. Mais ce texte est un peu long,
alors son débit est rapide : elle sait que l’attention des touristes
est passagère et qu’il ne faut pas trop traîner, sinon ils
commenceront à penser un peu trop à la dégustation
promise en fin de parcours.
Les caves occupent un ancien couvent, des centaines de tonneaux entreposés
sur plusieurs
niveaux et voisinant avec des foudres de 35.000 litres emplissent de grandes
salles : au total, le stock est de 12 millions de litres. Tout l’art du
Porto consiste en quelques opérations critiques : le moment
où l’on ajoute de l’eau de vie au moût fermenté, ce
qui bloque la fermentation au niveau précis du taux de sucre
résiduel qu’on cherche à obtenir : doux, demi-sec ou sec,
la durée du vieillissement en fûts de chêne du Portugal
(3 ou 4 ans selon le style de vin à obtenir, de 7 à 40 ans
pour les grands
Tawny), l’assemblage de vins d’âges différents
pour obtenir, comme pour le champagne, un suivi de l’arôme et du
goût. L’âge sur l’étiquette s’obtient par pondération
mathématique des âges des différents composants. Une
année exceptionnelle peut être déclarée année
de vintage par l’Institut du vin de Porto, l’assemblage n’utilise
alors que des vins de cette année-là. Les tonneaux de chêne
doivent avoir entre 3 et 60 ans : jusqu’à 3 ans, ils servent pour
le vin de table, au-delà de 60, ils sont vendus aux producteurs
de whisky écossais. Ils sont nettoyés une fois par an au
jet d’eau sous pression (pendant l’opération, le vin est entreposé
dans des cuves). Les vins jeunes se conservent mal en bouteille : leur
durée de garde ne dépasse guère 3 ans. Comme tout
grand vin, le Porto doit être consommé rapidement après
débouchage, de préférence dans les 48 heures.
Helmut Müller