Les vins de l'Hérault
Voyage

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La Jasse Castel
Domaine d’Aupilhac
Mas de la Seranne
Coop. de Cabrières
Mas des Chimères
Domaine Rimbert
Domaine Navarre
Domaine de Granoupiac
 
 

C.A.V.E.

 
Jean-PierreA Paris, gare de Lyon, à l’heure des croissants, le 30 mai 2003, huit chevalier(e)s de la C.A.V.E. grimpaient dans le TGV à destination de Montpellier, dans l’intention de consacrer trois journées à un examen approfondi du cas des vins de l’Hérault. Ils y étaient invités par Jean-Pierre, ancien président et fondateur de la C.A.V.E., professeur de lettres, qui, quelques années plus tôt, avait judicieusement et décidément sans regret, opté pour une fin de carrière au soleil du midi en se délocalisant à Aniane, petite ville de la « grande » banlieue ouest de Montpellier et excellent poste d’observation de la problématique viticole locale. Jean-Pierre, par sa présence, son physique « pagnolesque », ses cheveux rares et indisciplinés, sa barbiche poivre et sel, sa faconde, me fit l’effet d’avoir de toute éternité fait partie de ce décor méridional aride, écrasé de soleil et de chaleur, où il semble faire tout le temps soif. Il n’avait donc sans doute eu aucun mal à établir une liste d’une dizaine de viticulteurs de renom et à nous concocter un programme de visites-dégustations si copieux que nous n’en vinmes pas à bout.

Jean-Pierre est aussi musicien et n’eut guère de difficulté à trouver sa place dans la fanfare –La philharmonique pardon, la Philarmonique – de la commune voisine de Saint-André de Sangonis. Justement, ce soir-là, elle donnait un concert où, bien entendu, son fan-club se rendit au grand complet. Outre les morceaux de choix prévisibles comme la « Marche Lorraine », il y eut une interprétation surprenante d’œuvres que je supposais fort éloignées du répertoire habituel et même possible d’une fanfare : « la chanson d’Orphée » (du film Orfeo Negro) et « Il était une fois dans l’Ouest ». Lorsqu’à la fin du concert, le chef d’orchestre, présentant les musiciens un-à-un, énonça parmi les derniers le nom de Jean-Pierre, une clameur s’éleva au fond de la salle qui fit se retourner toute l’assistance, tant elle contrastait avec les applaudissements polis qui avaient accueilli les noms précédents. Il y eut un autre morceau de choix, peut-être moins goûté des spectateurs : à l’entracte, au moment où le public est captif, sous prétexte de faire l’éloge du Président de la Philarmonique, décidé à passer la main en raison de son âge et de sa cinquantaine d’années de bons et loyaux services, le sénateur-maire, unique personne dans la salle en complet-cravate malgré la chaleur étouffante, se lança dans un interminable discours pré-électoral dans un style ampoulé, redondant, répétitif, de nature à en remontrer à maints autres spécialistes de la diarrhée verbale, et qui me fit penser au maire de Champignac, bien connu des lecteurs des aventures de Spirou.

Le lac du SalagouRendre visite à des viticulteurs des Coteaux du Languedoc n’est pas toujours facile et tient quelquefois du jeu de piste : souvent, leur domaine ne dépasse pas dix hectares, morcelés en une demi-douzaine de parcelles et leur mas ou leurs chais se font discrets quelque part dans un village ou bien se dissimulent au Celles, village en ruinesbout d’un chemin de terre, quand ce n’est pas en petite montagne, après des kilomètres d’une étroite route en lacets, « touristique », certes, mais avec l’appréhension constante du véhicule venant en face. Les trajets se comptent quelquefois en heures passées à admirer les reliefs karstiques, les sommets, les gorges, les villages perchés ou qui s’accrochent à la pente, comme Vieussan, avec, à l’occasion, un petit détour pour admirer le lac du Salagou et les ruines de Celles, son village à l’abandon.

Vieussan, village du Saint-ChinianLe cérémonial de la visite est immuable : accueil, visite des installations et des chais, histoire de l’endroit et de ses exploitants, dégustation. Quelquefois, le vin est servi sur un comptoir, dans un espace réservé à la dégustation, mais le plus souvent la cérémonie a lieu dans le chais, au pied des cuves ou des barriques, les verres posés sur un tonneau dressé, ce qui permet l’évaluation tout aussi facile du liquide encore en cuve que de celui en bouteilles. Pendant que chacun agite son verre, évalue la couleur, la transparence, le gras, renifle, cherche l’identité de la fleur, du fruit, de l’épice ou du bois, s’emplit la bouche, observe l’astreingeance lui parcheminer les muqueuses, fait remonter l’arôme par l’arrière des fosses nasales, et enfin recrache à regret, notre hôte raconte son vin, savant assemblage de cépages, de terroir, de soleil et de pluie, mais aussi d’idées, de labeur, de convictions et de chance.

Presque tous les viticulteurs que nous avons rencontrés sont jeunes, ont exercé un autre métier dans le passé et ont effectué un retour à la terre, ayant acheté un vignoble ou repris une exploitation depuis moins d’une douzaine d’années. Certains ont sans doute encore de sérieuses difficultés économiques, mais tous aiment profondément leur métier et sont très attachés à leur coin de terre, même ceux qui ne sont pas originaires du pays. Ils sont fiers de leurs vins, aiment en parler et se plaisent à leur trouver des noms pittoresques ou humoristiques comme « l’Hérétique » ou « le Mas au Schiste ». Quelques-uns ont adhéré à des coopératives, puis ont repris leur autonomie, estimant que la lourdeur des grosses structures étouffait leur créativité. Dans une même région, ils se connaissent, se respectent et même s’apprécient ; jamais nous n’entendrons de propos négatif sur un confrère, tout au plus le silence. Leurs critiques vont à l’INAO, dont les réglementations sont jugées tâtillonnes et excessives, en particulier quant aux cépages autorisés dans les AOC, qui les contraignent à appeler « vin de pays » ou même « vin de table » des assemblages excellents mais non conformes. La région serait ainsi la patrie du « vin de table le plus cher du monde ». Plus d’un viticulteur se déclare prêt à renoncer au droit à l’appellation contrôlée plutôt qu’à sa liberté.

Pour qui se souvient de la détestable réputation des vins du Languedoc des années 70, il n’y a aucun doute : la révolution culturelle est en marche. On ne jure plus que par la qualité, les petits rendements, les méthodes de culture et de vinification naturelles. Sur les trois douzaines de vins que nous avons goûtés en trois jours, il n’y en a aucun que j’aie jugé indigne du verre de l’honnête homme.